La balance des paiements des pays de l’UEMOA

La balance des paiements des pays de l’UEMOA : indicateur de déséquilibres structurels ou révélateur de fragilité collective ?

Résumé

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) repose sur un régime de change fixe garanti par la France via la BCEAO. Dans ce contexte, la balance des paiements constitue un indicateur central de la viabilité macroéconomique régionale. Cet article analyse les déséquilibres structurels des balances des paiements des pays membres de l’UEMOA, en soulignant les limites du modèle de financement externe, les risques pour la solidarité monétaire régionale, et les tensions croissantes sur la soutenabilité des réserves de change.

1. Introduction

La balance des paiements, outil fondamental de comptabilité externe, retrace les transactions économiques entre un pays et le reste du monde. Dans un espace monétaire intégré comme l’UEMOA, elle permet de diagnostiquer les déséquilibres commerciaux, les dynamiques d’endettement, et la robustesse des réserves de change mutualisées. Or, depuis plusieurs années, les économies de l’Union sont confrontées à des déficits chroniques, notamment dans le compte courant, sans pour autant améliorer structurellement leur position extérieure.

Cet article propose une lecture stratégique de ces déséquilibres, en interrogeant les fondements économiques et institutionnels qui les alimentent, et les risques systémiques qu’ils font peser sur la stabilité monétaire commune.

2. Cadre théorique et méthodologique

La balance des paiements est un document comptable qui enregistre l’ensemble des flux économiques, financiers et monétaires entre un pays et le reste du monde pendant une période donnée (généralement un an).

Si le total des entrées de devises > sorties, il y a un excédent de la balance des paiements.

Si les sorties > entrées, il y a un déficit, qui peut entraîner une baisse des réserves de change ou la nécessité de recourir à un financement extérieur (emprunt, aide, FMI, etc.)

La balance des paiements est décomposée en trois grands comptes :

le compte courant (biens, services, revenus, transferts courants). C’est dans ce compte qu’on trouve la balance commerciale

le compte de capital (transferts de capital, cessions de droits immatériels),

le compte financier (IDE, investissements de portefeuille, prêts/emprunts, réserves).

Dans le cas de l’UEMOA, la BCEAO centralise l’émission monétaire et la gestion des réserves de change, tandis que chaque État conserve sa propre structure de commerce extérieur et d’endettement. Cette configuration rend nécessaire une lecture à la fois agrégée (Union) et désagrégée (par pays) pour évaluer les vulnérabilités.

3. Diagnostic empirique des balances des paiements des pays de l’UEMOA (2020–2024)

3.1 Le compte courant : déficits structurels

Plusieurs pays de l’Union, à l’exception de la Côte d’Ivoire et partiellement du Sénégal et du Bénin présentent des déficits chroniques du compte courant.

Ces déficits sont alimentés par :

une forte dépendance aux importations (carburants, biens d’équipement, produits alimentaires),

une faible valeur ajoutée à l’exportation, concentrée sur quelques matières premières (or, cacao, coton),

des services déficitaires, notamment en transport et télécommunications,

des transferts courants (envois de fonds) qui, bien que positifs, ne comblent pas l’écart.

Exemple : En 2023, le déficit du compte courant atteignait :

Mali : –652 milliards FCFA

Burkina Faso : –819 milliards FCFA

3.2 Le compte financier : un amortisseur instable

Le déficit courant est compensé par des flux de capitaux, notamment :

les investissements directs étrangers (IDE), concentrés dans quelques secteurs (mines, télécoms),

des emprunts publics bilatéraux et multilatéraux,

la mobilisation croissante du marché régional des titres publics, qui sert d’instrument de refinancement budgétaire.

Problème : Ces financements sont exposés aux chocs extérieurs, aux variations de taux d’intérêt, et aux notations souveraines dégradées.

3.3 Réserves de change : mutualisation sous tension

La BCEAO gère une réserve commune de devises, qui s’est stabilisée autour de 13 500 milliards FCFA.

Les pays très déficitaires puisent davantage que ceux qui sont excédentaires, créant un risque d’asymétrie de solidarité.

Le poids croissant des pays de l’AES (Burkina, Mali, Niger) et leur isolement géopolitique posent la question de leur contribution réelle à la soutenabilité de l’union monétaire.

4. Analyse critique : un modèle fondé sur la dépendance extérieure

4.1 Une architecture économique extravertie

Les économies de l’UEMOA restent marquées par :

une insuffisante industrialisation,

un commerce extérieur asymétrique (matières premières contre produits finis),

une faible autonomie alimentaire et énergétique.

Ce modèle les rend structurellement déficitaires, dépendants des financements extérieurs et donc vulnérables aux chocs mondiaux (pandémie, guerre en Ukraine, hausse des taux US/UE).

4.2 Un marché régional des capitaux partiellement intégré

Bien que le marché des titres publics (UMOA-Titres) ait permis de lever des fonds localement, il reste fragmenté, et l’intermédiation financière faible limite la transformation de l’épargne en investissement productif.

4.3 Un risque de « fragilité mutualisée »

Le système de solidarité monétaire repose sur la mutualisation des excédents (notamment ivoiriens et sénégalais). Or, si ces pays subissent des chocs ou réduisent leur excédent, la BCEAO pourrait être contrainte d’ajuster sa politique de change ou de rationner les transferts. Cela fragilise le principe même de l’intégration monétaire, surtout sans fédéralisme budgétaire.

5. Perspectives et recommandations

Renforcer la diversification des exportations : Agro-industrie, transformation minière, services numériques.

Réduire la dépendance énergétique : investissements dans les énergies renouvelables locales.

Créer un fonds de stabilisation intra-UEMOA, pour compenser les chocs asymétriques de balance des paiements.

Accroître la discipline budgétaire et la transparence des financements publics.

Repenser les mécanismes de solidarité monétaire : vers une architecture plus asymétrique, tenant compte de la contribution nette de chaque pays aux réserves.

Conclusion

La balance des paiements des pays de l’UEMOA révèle un double déséquilibre : économique (déficit structurel courant) et institutionnel (fragilité du modèle de solidarité monétaire). Tant que les économies resteront extraverties et peu industrialisées, elles dépendront de financements externes instables. Cela pose une question stratégique majeure : l’UEMOA est-elle un espace monétaire viable sans transformation radicale de ses structures économiques internes ?

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