AES / CEDEAO: entre dépendance stratégique et ambitions d’autonomie financière

Les pays de l’AES et la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) : entre dépendance stratégique et ambitions d’autonomie financière

Les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) — Burkina Faso, Mali et Niger — ont officiellement quitté la CEDEAO sur le plan politique, mais continuent de bénéficier activement du soutien financier de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), bras économique de l’organisation régionale. Cette situation révèle une asymétrie stratégique dans le processus de découplage institutionnel et met en lumière la complexité de la transition vers une souveraineté économique effective.

1. Une présence renforcée malgré une contribution limitée

Malgré une contribution financière cumulée de seulement 5,5 % au capital de la BIDC, les trois pays de l’AES bénéficient actuellement d’un portefeuille important de 21 projets financés ( infrastructures énergétique, services financiers, usine tomate, transports, etc) par la banque, notamment dans les secteurs des infrastructures et du développement rural.

Le Burkina Faso capte à lui seul environ 298 milliards FCFA,

Le Mali, 238 milliards FCFA,

Et le Niger, 98 milliards FCFA.

Au total, ces financements représentent plus de 15 % des engagements actuels de la BIDC, une proportion largement supérieure à leur poids dans la gouvernance financière de la banque. Cette situation soulève des interrogations sur la soutenabilité politique et technique d’un retrait éventuel.

2. Le paradoxe du retrait politique sans retrait financier

La rupture politique avec la CEDEAO, amplifiée par la création annoncée d’une Banque d’investissement et de développement de l’AES, laissait présager une sortie prochaine de la BIDC. Or, il n’en est rien. Non seulement les pays de l’AES ne se sont pas retirés de la BIDC, mais ils continuent d’y défendre activement leurs intérêts et d’en solliciter les ressources.

Ce choix s’explique par une rationalité économique :

Le financement de projets structurants reste critique pour la stabilité sociale et le développement local ;

Le coût d’opportunité d’un retrait immédiat serait considérable, tant en termes de financement que de réputation ;

Et surtout, les capacités internes de mobilisation de ressources de l’AES sont actuellement limitées, du fait d’un environnement macroéconomique dégradé et d’un accès restreint aux marchés financiers internationaux.

3. Vers une autonomie financière de l’AES : une ambition encore théorique

La volonté affichée de créer une banque propre à l’AES est stratégique : elle vise à renforcer la souveraineté financière et à sortir de la dépendance aux institutions communautaires jugées hostiles. Cependant, plusieurs limites structurelles se posent :

Absence d’une base de capital suffisante, sans alliés extérieurs ou partenaires disposés à injecter des fonds significatifs ;

Déficit de confiance des marchés, notamment en lien avec les risques politiques, les sanctions, et les ruptures institutionnelles ;

Manque d’économies d’échelle : à trois pays, les coûts de fonctionnement, de gouvernance et de structuration financière seront plus élevés, sans l’effet de dilution que procure une organisation comme la CEDEAO (14 pays).

4. Conclusion : entre réalisme pragmatique et souveraineté différée

La coexistence actuelle entre le maintien dans la BIDC et la création annoncée d’une banque de l’AES traduit un pragmatisme économique assumé. Elle révèle que, malgré les discours souverainistes, les instruments d’intégration régionale comme la BIDC restent incontournables à court et moyen termes pour les pays de l’AES.

Le vrai défi ne réside pas seulement dans la création d’une nouvelle banque, mais dans la capacité à capter l’épargne locale, à attirer des partenaires crédibles (étatiques ou privés), et à construire une gouvernance financière robuste. La souveraineté financière ne se décrète pas : elle se construit sur des bases macroéconomiques solides, une gouvernance crédible, et une capacité à s’intégrer dans les chaînes de financement régionales et mondiales

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